Savon "Je suis Charlie"

Publié le 14 janvier 2015 par Sealeha

Je me suis longtemps demandé si je devais faire ce type d'article ou non... Est-ce vraiment le rôle d'un blog de cosmétique maison de faire ce genre d'article ?
Peut-être pas, effectivement... Mais commencer à faire de l'auto-censure, dans ce contexte, c'est assez malvenu.
Rho, et puis on en a tellement lu, ici et là, on frôle l'overdose... Qu'est-ce que ton article va apporter de plus ?
Rien. Absolument rien, je n'apporte rien de neuf.
Oui mais voilà. Faut que ça sorte.

Jeudi dernier, le 8 janvier, mon fils a soufflé ses sept bougies. Toute la journée, je m'en suis voulu de ne pas avoir totalement la tête à ça (rapport aux attentats du 7 janvier, puis aux événements du 8 janvier, au cas où tu reviendrais d'un voyage spatial et où tu ne verrais pas à quoi je fais allusion)... Le soir, au resto pour fêter l'anniversaire de mon petit, je les ai regardés. Mon fils, absorbé dans les dessins qu'il griffonnait sur le set de table. Ma fille, éternelle et insatiable bavardeuse - ce qu'elle peut ressembler à sa mère celle-là. Et puis un sentiment de révolte m'a envahi.

Je refuse.

Je refuse de voir mes enfants grandir dans un monde où quelques dessins à l'humour parfois potache, moqueurs mais toujours percutants, que certains religieux trouvent offensants, soient sanctionnés par la peine de mort. On a tout dit là-dessus : c'est la liberté de la presse, la liberté d'expression qu'on assassine. Ce qui m'ébahit également, c'est le fait que ces lâches n'aient rien trouvé d'autre à faire que tirer dans le tas. Quoi, la violence comme droit de réponse ? Quelle pauvreté intellectuelle !

Je refuse.

Tout aussi fort, je refuse de voir des raccourcis servir de mode de pensée aux feignants de la jugeotte. Non, tous les musulmans ne sont pas des islamistes intégristes. Et vous savez quoi ? Tous les arabes ne sont même pas forcément musulmans, dites-donc. Je suis malade de voir qu'on attend de chaque maghrébin qu'il se désolidarise de ce qu'il s'est passé. Comme j'ai lu quelque part (je ne sais plus où...) : est-ce que, parce que j'appartiens à l'espèce humaine, tout comme ceux qui ont commis ces atrocités, je dois également me sentir obligée de me désolidariser des attentats ? Ce qui me fait peur, c'est le relent de racisme que je sens poindre... Et je crains pour l'avenir. Je refuse de toutes mes forces que ces événements aboutissent à la montée de la haine. Ce n'est pas le monde que je veux pour mes enfants.

Je refuse.


Et puis bon sang de bois, ce qui me hérisse le poil, aussi, c'est cette bienséance, cette bien-pensance de certains. Ce que j'ai lu ou entendu ça et là... Que certes, c'est bien dommage ce qui leur est arrivé, à ces gars, mais que quand même, leurs dessins, c'était un manque de respect à la religion musulmane. Que les immigrés, les pauvres chéris, il faut les comprendre, ils sont les mal-aimés de la République (c'est pas faux), on les a ghettoïsés (c'est pas faux), on les a stigmatisés (c'est pas faux), que ces communautarismes, c'est la faute de l'Etat qui ne les intègre pas comme ils le méritent dans notre société (bon sang ce que j'approuve ces propos), et que du coup ben voilà, c'est normal qu'ils réagissent comme ça à un moment ou à un autre. Hein ??! Ca je ne le cautionne pas. Je refuse de lire même, ici ou là, que quand même, ils l'avaient bien cherché les gars de Charlie Hebdo, que c'était de la provocation ce qu'ils faisaient.

Je refuse.

Alors et d'une : imaginer une seule seconde que tous les immigrés, qui se sentent bafoués, qu'on ne prend pas assez en compte, réagissent de la sorte, c'est les avoir en bien basse estime. Un peu de foi en l'humain bordel. On a toujours le choix. C'est pas parce qu'on n'a pas le respect qu'on mérite, ou même qu'on est insulté qu'on a le "droit" ou même l'excuse pour agir (ou même penser) de la sorte. Et non, tous les musulmans ne pensent pas de cette manière. Promis. Il y en a même qui souhaitent faire le premier pas, eux, puisque nous ne le faisons pas, nous, et faire entendre leur voix intelligemment. Et au passage, ça fait le plus souvent deux ou trois générations qu'ils ne le sont plus, immigrés, mais français de souche. Je suis d'accord, 40 ans de conneries sociales, y'a du boulot pour revoir tout ça. Et il va vraiment falloir qu'on s'y attèle, là maintenant. Mais là encore, il ne faut pas stigmatiser. Ce n'est pas parce que tu n'es pas reconnu, intégré, que tu ne bénéficies pas des mêmes chances que les autres dans un pays que tu vas forcément prendre les armes pour zigouiller tout le monde.
Et de deux : merde, quoi.
Le délit de blasphème n'existe pas en France. Une bonne fois pour toutes. En revanche, la liberté d'expression et la liberté de la presse sont des principes de notre république. Petit rappel : le fait religieux relève de la sphère intime, privée. La liberté d'expression, de la sphère publique. Alors si certains se sentent blessés par des dessins, qu'ils regardent ailleurs, qu'ils le disent, ou qu'ils l'écrivent s'ils le souhaitent, mais en aucun cas ils n'ont le droit de crier au manque de respect ni d'attaquer en justice pour ce motif. Ils seront de toutes les manières déboutés, car, encore une fois, NON, il n'existe pas de délit de blasphème. On a le droit de critiquer les religions, en France. Les valeurs inscrites au fronton de notre république sont "liberté, égalité, fraternité". Je rajouterais volontiers "laïcité", tiens. Et je refuse de me faire dicter ce que j'ai "le droit" ou non de dire sur les religions. Je refuse ce terrorisme, ce fascisme intellectuel.

Je refuse.

Je refuse aussi de baisser les bras. Je ne peux pas. J'ai deux enfants...
Mais quoi faire ? Par où commencer ?
Par quel bout attaquer la construction d'un monde où tout le monde pourrait respecter ces valeurs, liberté, égalité, fraternité, laïcité ? Quel que soit son origine ethnique ou sa religion, du coup ? J'ai la chanson de John Lennon dans la tête, Imagine...

Et comme je ne savais pas quoi faire, j'ai fait un savon.
Un savon à barbe, tiens, ça va peut-être aider quelqu'un à passer plus incognito, parce que je l'imagine bien se faire cette réflexion, en ce moment :

Et puis de toutes façons, mon papa en avait besoin alors bon ^^

Ingrédients :

20% huile de coco (mousse et dureté)
4% acide stéarique (mousse qui dure)
10% huile de babassu (mousse)
10% beurre de karité (dureté et douceur)
2% beurre de cacao (dureté et douceur, savon qui glisse bien)
10% huile de macadamia (douceur)
20% huile d'olive (dureté et douceur, savon qui glisse bien)
10% huile d'inca inchi (douceur)
5% huile de ricin (douceur et mousse)
5% huile d'argan (douceur)
4% huile de son de riz (douceur)

Dans les huiles : une grosse cuillère à soupe d'argile blanche (texturant, fixateur de parfum)

Décoction de calendula (apaisant) et soude pour un surgraissage à 10%

A la trace : ajout 3% du total des huiles en synergie d'huiles essentielles (verveine exotique, lavande vraie et basilic tropical) : relaxant, apaisant

Pour colorer : charbon actif, colorant néon rouge pour savon

Mode d'emploi :

Voir mon tutoriel sur la saponification à froid, ici.
Pour le décor, voici comment j'ai fait :

Bon, un savon c'est bien joli, mais il va falloir qu'on trouve concrètement quoi faire après. Et surtout qu'on ne laisse pas le soufflet retomber, comme trop souvent, et que cette prise de conscience perdure dans les esprits. Des idées ?

Pour finir, j'emprunte les mots d'un autre irrévérencieux, que j'aime beaucoup :"S'il est vrai que l'humour est la politesse du désespoir, s'il est vrai que le rire sacrilège blasphématoire que les bigots de toutes les chapelles taxent de vulgarité et de mauvais goût, s'il est vrai que ce rire-là peut parfois désacraliser la bêtise, exorciser les chagrins véritables et fustiger les angoisses mortelles, alors oui, on peut rire de tout, on doit rire de tout."
Pierre Desproges - Tribunal des Flagrants Délires